Introduction
La capoeira est un art martial d’origine afro-brésilienne, née de la rencontre de deux peuples: l’un désireux de contrôler, l’autre appelé à résister pour sa propre survie.
Instrument de libération des esclaves, la Capoeira, dans sa plus pure origine, est une méthode de combat redoutable et efficace.
Histoire
C’est en l’an 1500 après J.C. que l’explorateur Pedro Alvares Cabral et sa flotte portugaise découvrent le Brésil, partis trois mois avant dans le but de découvrir l’Inde.
Au début de la période de colonisation, la position stratégique du Brésil était considérée par le royaume du Portugal comme très importante car elle permettait de servir de relais entre les futures expéditions du Portugal pour les Indes. Par la suite, cette proximité relative séparant les côtes du Brésil de celles de l’Afrique de l’Ouest fut utile pour favoriser les relations entre ces diverses colonies portugaises.
Une des premières mesures prise par les colons après leur arrivée, fut de subjuguer la population locale, estimée alors à un million vivant sur les côtes, afin de fournir de la main d’œuvre pour leurs plantations. Les indigènes, provenant de multiples tribus, n’eurent pas vraiment le choix et, certains, excédés par leur misérable condition de vie se révoltèrent. Plusieurs conflits ainsi que quelques maladies importées par les colons, continuèrent de décimer la population locale, réduisant ainsi la main d’œuvre exploitée dans les plantations. De nos jours encore, la population originelle du Brésil, déjà fort peu nombreuse, continue à être décimée au profit du progrès et de la civilisation.
Il sembla donc naturel aux Portugais de se rendre de l’autre côté de l’Atlantique, dans les quelques colonies portugaise en Afrique, afin d’importer de la main d’œuvre. C’est par centaine, puis par centaine de milliers que les Africains furent déportés, dans des conditions d’hygiène et de transport misérables, vers le Brésil donnant ainsi naissance à un véritable trafic d’être humain. À cause des conditions précaires de ce voyage de trois mois entre ces deux continents, environ quatre cent mille personnes dépérirent durant le trajet et furent jetées dans l’Océan Atlantique. Quatre millions d’Africains, provenant du Soudan, d’Angola, du Congo et du Mozambique, furent ainsi transportés au Brésil jusqu’au milieu du XIXe siècle, puis en 1888, le trafic d’esclave fut officiellement aboli. Ils emmenèrent avec eux leur propre culture, vibrante et totalement différente de la culture européenne, une culture qui n’était pas stockée dans des livres ou des musées, mais dans leur corps et leur esprit, traversant les générations de pères en fils.
Malgré l’oppression portugaise, les esclaves africains et leurs descendants développèrent un extraordinaire univers socio-culturel et politique, parallèle au système imposé auquel ils étaient soumis. Cet univers servit de véritable moyen de stockage de cette culture africaine ainsi que de ces racines. Une partie de cette culture s’est traditionnellement préservée au fil des années alors qu’une autre a continué son expansion donnant naissance à diverses formes d’art et de coutumes d’où la Capoeira est probablement issue.
L'esclavage
Lors des deux premiers siècles de colonisation, toute forme d’expression culturelle africaine comme la danse ou ce qu’était la Capoeira à cette époque était autorisé et parfois même encouragé par les autorités locales dans le but d’accentuer les différences culturelles de chaque ethnie déportée pour ensuite mieux les diviser et les contrôler.
Mais en 1808 lorsque le Monarque Dom Joao VI « s’auto exila » au Brésil afin de fuir l’invasion de Napoléon au Portugal, toute forme d’art d’origine africaine fut prohibée, dans le but de dominer plus encore ce peuple déporté, en le privant de ses racines et de son identité culturelle. Le Monarque créa la première force de police organisée de l’histoire du Brésil appelée «Guarda Real do Palacio», garde royale du palace, pourchassant les pratiquants de Capoeira dans tout le pays. Pendant les années qui suivirent, la Capoeira fut considérée par l’opinion publique comme responsable de l’augmentation de la criminalité au sein des villes. Sa répression ne fut que plus forte et plus violente, et certaines brigades de police furent même conçues dans le seul but d’empêcher la moindre pratique de Capoeira. Cependant dans les grandes villes comme Salvador de Bahia ou Rio de Janeiro, plusieurs groupes de Capoeira se développèrent à l’abri des regards de la police, dans les «Quilombos», créant ainsi de vastes réseaux rivaux.
En 1828, le gouvernement brésilien fit appel à des mercenaires européens afin de renforcer ses troupes lors de la guerre de « Rio de Prata » contre le Paraguay. Mécontents de leur traitement au Brésil, ces mercenaires se révoltèrent contre le gouvernement, massacrant ainsi toute vie humaine qu’ils rencontrèrent sur leur passage. Leur périple s’arrêta lorsqu’ils rencontrèrent des esclaves, principalement tous Capoeiristes, qui mirent fin à cette révolte dans un immense bain de sang étranger. Ce fut un des rares moments de gloire de la Capoeira à cette époque.
Lors du passage de l’Empire brésilien qui dura 67 ans, entre 1822 et 1889, en République brésilienne, les monarchistes créèrent la Guarda Negra, Garde Noire, afin de protéger la Princesse Isabel des assauts républicains. Cette Garde Noire, essentiellement composée de noirs, et d’esclaves fraîchement libérés, tous Capoeiristes, et corps et âmes dévoués à la princesse, car elle venait de signer la Golden Law abolissant l’esclavage (1888), fût un véritable problème pour les partisans et combattants du régime républicain. Une fois cet obstacle vaincu, non sans mal, et la Monarchie détruite, le Général Deodoro da Fonseca, qui venait de proclamer la République, promit de tout tenter afin d’éradiquer la Capoeira de la société, et en 1892, la Capoeira fut proclamée hors-la-loi.
Les persécutions et les confrontations avec la police continuèrent, et la Capoeira commença à disparaître doucement à Rio de Janeiro et à Récife, persistant de manière plus marquée à Salvador de Bahia. C’est pendant cette période, entre 1900 et 1925, que des figures légendaires de la Capoeira, comme « Besouro Cordao-de-Ouro » à Bahia, « Nascimento Grande » à Récife et « Manduca da Praia » à Rio, apparurent. La particularité de ces légendes est la technique vaudoue pratiquée sur leur corps afin de le rendre invulnérable aux balles et aux lames de couteaux, on parle alors de corpo fechado, corps fermé. Ces figures emblématiques de la Capoeira étaient redoutées de tous, d’une part à cause de leur grande maîtrise de cet art martial et d’armes diverses, et d’une autre part à cause de leurs corpo fechado.
Le début du XXe siècle n’augurait rien de bon concernant l’avenir de la Capoeira. En effet, elle était considérée comme un fléau national, et à force de répressions sévères dans tout le pays, et la disparition souvent mystérieuse des figures légendaires au corpo fechado, la Capoeira devint moins agressive, se rapprochant plus d’une simulation de lutte rythmé par des instruments de musique que l’on connaît aujourd’hui, que de combats féroces et sanglants menés jusqu’alors.
Origines
Il existe plusieurs théories sur les origines de la Capoeira. Certaines sources tendent à laisser croire que ces origines seraient de nature Africaines alors que d’autres penchent plutôt pour des racines brésiliennes. Une des théories les plus populaires chez les Capoeiristes du monde entier reste celle présentée par Augusto Ferreira dans son livre Historia da Capoeira.
D’après sa théorie, la Capoeira est apparue grâce à un désir accru de liberté du peuple réduit à l’esclavage. Le premier pas vers la reconquête de cette liberté fut de fuir les endroits surveillés par les colonisateurs. Les esclaves durent leur salut aux conquêtes hollandaises venues défier les colonies portugaises, envahissant ainsi les villes et plantations occupées. En effet, chaque invasion eut pour effet d’affaiblir les systèmes de défenses portugais, permettant ainsi à plusieurs esclaves de fuir vers les forêts à la recherche d’endroits sûrs pour survivre cachés.
À cette époque, la côte brésilienne était séparée des terres intérieures par une large bande de forêts de type amazonienne. C’est dans cette large bande de forêts que les meilleurs refuges furent trouvés et nommés Quilombos, signifiant l’arrière-pays. Cette isolation permit aux fugitifs de développer leur propre système afin libérer les esclaves encore en captivité. La Capoeira fit son apparition dans ces quartiers retirés, sous le leadership du légendaire « Zumbi », meneur du gigantesque « Quilombo dos Palmares », et se développa comme une méthode rudimentaire de combat dans laquelle seulement quelques coups violents furent répertoriés. La Capoeira ne se serait peut-être pas autant développée si elle avait été uniquement confinée à cet environnement, et serait probablement devenue une simple méthode de combat rudimentaire destinée à échapper au contrôle des oppresseurs.
Plusieurs autres théories se basant également sur le peu de documents existants sur les origines de la Capoeira se présentent également comme des hypothèses valables et acceptées par la plupart des pratiquants.
L’une d’entre elles met en avant le fait que la Capoeira fut inventée par les esclaves africains importés au Brésil afin de se protéger de l’oppression portugaise. Ceux-ci développèrent ce sport de combat en le déguisant sous la forme d’une danse, leur permettant ainsi de s’entraîner à l’abri des soupçons des propriétaires blancs. Une des preuves qui valide cette théorie est la différence observée du comportement des Capoeiristes en fonction des différents rythmes que les berimbaus jouent. Comme on le reverra plus loin, un rythme nommé Cavalaria, ce qui veut dire cavalerie en Français, impose aux pratiquants un certain type de jeu lors duquel le contact est interdit, un peu comme une danse. D’après cette théorie, le passage du rythme « normal » au rythme Cavalaria annoncerait la venue de l’oppresseur, obligeant les pratiquants à transformer leur entraînement de combat en danse folklorique, ceci afin d’éviter d’éveiller tout soupçon sur une possible méthode de révolte.
D’après une autre théorie prônant plutôt les racines africaines, la Capoeira ne serait autre que la « Danse du Zèbre » pratiquée dans le sud de l’Angola pour célébrer la transformation des jeunes filles en futures mères. Le jeune homme qui gagne le « N’golo » (danse du Zèbre), car il s’agit plus d’un type de combat que d’une danse, peut directement choisir, parmi les initiées, la future épouse de son choix. D’après cette théorie, les esclaves angolais déportés au Brésil auraient amené avec eux cet art si particulier. Art qui leur fut bien utile pour assurer leur survie au sein d’un environnement fort hostile. Une des traces validant cette théorie est la présence en Angola ainsi que dans cette danse du Zèbre, d’un instrument de musique appelé « Hungu » correspondant exactement à l’un des instruments moteurs de la Capoeira : le berimbau.
L’origine du mot Capoeira pose autant de problèmes que l’art au premier sens du terme. En effet, grâce à une multitude de définitions de ce mot, on lui trouve des racines dans deux familles de langages totalement différents. Dans la langue Guarani, langue maternelle indigène de la majorité des Indiens natifs du Brésil, et dans le Portugais. En Guarani, tout d’abord le mot Capoeira est associé aux mots bois, forêt, feuilles, arbres ainsi qu’à l’ensemble des végétaux, alors qu’en Portugais ce mot s’associe plutôt à coq (capao), basse-cour, ou panier. Cela tient du fait qu’un petit oiseau, se battant comme un coq, nommé odontophorus capueira spix vivant dans certains états du Brésil a pour réputation d’être très jaloux et lorsqu’il rencontre d’autres mâles, les deux prétendants se battent avec férocité et agilité, tout comme les pratiquants de Capoeira. Une autre théorie populaire avance que le mot « Capoeira » signifie la colline à herbe rase sur laquelle les esclaves pratiquaient cet art, surplombant ainsi le territoire afin d’être à l’affût du moindre déplacement des troupes d’oppresseurs.
Les origines de la Capoeira demeurent un sujet à controverse, mais ce que l’on doit retenir de tout ça c’est que cet art martial s’est développé au Brésil sous une importante influence africaine. Cependant, on ne peut en aucun cas prétendre que la Capoeira est venue d’Afrique déjà toute faite, ni d’ailleurs qu’elle ne dépend d’aucune racine brésilienne. Le Brésil est le seul pays au monde où cet art s’est développé, contrairement à d’autres formes d’expression africaines comme le Jazz, le Blues ou le Limbo, présentes dans plusieurs pays, où les esclaves africains ont été importés. On peut dès lors affirmer sans trop se tromper que la Capoeira résulte d’un mélange unique, d’un choc culturel entre deux peuples appelés à résister à un régime colonial trop imposant.
Mestre Bimba
En 1930, Getulio Vargas fut nommé à la tête du gouvernement du Brésil. Afin d’augmenter sa côte de popularité, il réduisit la répression concernant les formes d’expressions culturelle d’origine africaine, la Capoeira y compris, et en 1932 à Salvador de Bahia, Manuel dos Reis Machado, plus connu sous le pseudonyme de Mestre Bimba (1899-1974), ouvra la première académie de Capoeira. Cinq ans plus tard, en 1937, son académie de Capoeira fut officiellement reconnue par le gouvernement, et inscrite à l’Office de l’Education et de la Santé Publique. Il faut toutefois noter que la pratique de la Capoeira était tolérée par le gouvernement de Getulio Vargas dans les endroits délimités à cet effet, et sous contrôle policier uniquement.